Histoire
- Liens:
Corpse Bride : Sœur aînée.
Mysthic Night : Amie.
Elle nous regarde, Azur.Elle a l’air un peu blessée, un peu stressée. On se demande pourquoi ; on a seulement demandé comment sont ses parents. Elle ouvre la bouche une fois, se ravise, recommence. Elle parvient enfin à aligner des mots et ils sont chargés de souffrance. On s’en veut presque d’avoir posé la question.
Presque.- Pas sont, étaient. Ils nous ont quitté.
- Quand ?
Elle paraît réfléchir, se creuser les méninges. Au final, son visage redevient neutre, les yeux posés sur le vide.
Ouais, c’est un sujet pénible à l’évidence.- Quelques années. Mais c’est comme s’ils m’avaient laissé hier. Je me rappelle encore des inflexions de leurs voix, du rire de ma mère, des bouderies de mon père ; il me semble qu’ils m’appellent encore dans les escaliers, le matin, quand je suis mal réveillée.
Les oreilles couchées sur le crâne, Azur nous crève le cœur. Sa pudeur l’empêche de réellement afficher son affliction mais on peut la sentir galoper sur nos peaux. On pense qu’elle va garder rancœur pour la douleur qu’on a ravivé ; Azur nous surprend en nous souriant doucement.
- Je vais vous raconter, vous comprendrez mieux après.
Elle a une lumière dans le regard, comme de la tendresse pour ces personnes qu’elle s’apprête à évoquer. Elle prend une profonde inspiration, puis se replonge dans les souvenirs.
Elle nous explique, Azur, avoir été le bébé le plus désiré au monde. Ses parents savaient ce qu’ils voulaient, à ce moment-là : un enfant précieux à chérir jusqu’au dernier jour. Peut-être même au-delà. Ils avaient déjà une fille à l’époque. Ils voulaient lui offrir un camarade de jeu, quelqu’un à protéger en espérant que — s’ils devaient disparaître pour l’éternité — les enfants se reposeraient l’un sur l’autre.
Azur était née sous la bénédiction de la lune d’hiver. Elle était une chose minuscule. On la disait incroyablement chétive ; sa santé était par ailleurs affreusement fragile.
- Maman en a beaucoup voulu au ciel pour ça. Elle avait peur que je me casse au moindre coup de vent.
Elle avait poussé comme une fleur sous une cloche, gardée à la maison pour ménager son corps peu enclin à prendre du mieux. Les premières années ressemblaient à l’enfer : Azur pleurait souvent, peinait à se faire comprendre, refusait de dormir loin de ses parents.
Elle ne parlait alors qu’à une seule personne : sa sœur aînée. Elle n’avait que le silence à adresser aux autres, même à leurs gouvernantes douces et chaleureuses.
Vers six ans, Azur commença à aller en classe comme une enfant normale. Elle nous avoue avoir passé de mauvais moments sur place, son regard est fuyant, ses lèvres étirées dans un sourire gênée. Les mômes ne brillaient pas pour leur tolérance ; chacun payait cher sa différence avec le voisin. Elle s’était repliée dans sa bulle mais dépérissait. Elle sentait l’ennui dans son cœur. L’asthénie, aussi.
Elle devait son salut à sa sœur et à sa mère, en réalité. Toutes deux admiratives devant leur mère musicienne, les deux fillettes s’amusaient à enfiler ses tenues de scène en secret. L’artiste leur cédait même celles qui ne lui servaient plus.
Pourtant, l’ennui revenait sans cesse à la charge. Elle souffrait d’un manque sans savoir de quoi, accusant ses parents souvent absents d’en être la cause. En réalité, son cœur aspirait seulement à autre chose : créer. Elle révélait son vrai visage dans de rares moments privilégiés, quand il était question d’assortir les couleurs pour dessiner sur les murs, de façonner des univers éclectiques avec ses pattes pleines de craies, peintures, suie, cendres. Elle collait, s’amusait avec les reliefs, les sensations laissées par les tissus plus ou moins rêches.
Ce qui était un simple jeu pour les autres se révélait être beaucoup plus à sa rencontre avec un joaillier. Elle avait onze ans depuis peu. Celui-là, vieux mais hanté par son art, remarquait ses allées et venues incessantes à sa boutique, son attrait pour certains bijoux, ses demandes incongrues pour des mariages de couleurs qui — à première vue — ne pouvaient pas former de jolis couples ; quand il lui demandait cependant où était le bracelet acheté la fois précédente, Azur avouait qu’il allait mieux à sa sœur ou à sa mère.
À douze ans, la licorne passablement âgée lui proposait de s’essayer à la taille d’un petit saphir. Son cadeau d’anniversaire de sa part, avait-il glissé dans un sourire.
Rapidement gagnée par la fièvre, Azur créait un ovale presque aussi parfait que ceux de l’orfèvre ; sa cutie mark se dessinait sur son flanc ce jour-là, petit diadème aux nuances pâles. Elle réalisait la portée de son talent, ce qu’il impliquait, ce « don » inné.
À l’âge de raison, Azur commençait un apprentissage en joaillerie avec le maître licorne. Il était attaché à l’enfant devenue adolescente. Elle passait le plus clair de son temps dans son atelier, ravissant les yeux de la clientèle avec ses créations inhabituelles.
Au cours de son service militaire, néanmoins, Azur perdait son père. Il était grièvement malade depuis quelques années, dépérissait beaucoup à la veille de son départ pour le service obligatoire — la môme était déchirée. Elle était rentrée pour un dernier hommage puis repartie aussi sec, comme pour fuir le fantôme resté dans la vieille maison de son enfance.
À l’issue de l’année offerte à sa patrie — Moonlight Realm —, Azur regagnait son domicile. Sa mère avait changé. Elle se laissait aller, arrachée à son âme sœur. Elle fonctionnait mécaniquement, mangeait peu, se perdait sans cesse dans ses pensées. Il se passait des jours sans qu’aucun mot ne soit échangé, et, soudain, la pégase fondait en larmes. Son énergie fuyait par chacun de ses pores.
Elle s’éteignait à son tour durant l’été 1902, terrassée par le chagrin.
Corpse Bride, sa sœur aînée, décidait pour elles qu’il valait mieux vendre la grande demeure familiale pour ne pas broyer éternellement du noir. Elles se séparaient donc du bâtiment au profit d’une petite baraque beaucoup plus petite et sobre où il était possible de repartir de zéro.
Depuis, la vie de la plus jeune était dictée par des voyages incessants entre Crystal Empire et Cold Heights où Azur se réfugiait chez Mysthic Night pendant les tournées de sa sœur aînée. La faute à ses peurs nouvelles : celles du silence et de la solitude.
À Crystal, la môme bleue aidait son vieux mentor à la bijouterie ; à Cold, elle secondait Mysthic à la forge du mieux que possible.